Ondes sismiques et vision du Monde

[ Sujet : ] - [ Date : 12 mars 2004 à 11:36 ]



De l'antiquité aux prémices du modèle PREM : une approche historique et épistémologique des représentations de la structure interne du globe... jusqu'à ce que la sismologie y apporte son point de vu déterminant conduisant aux premiers modèles scientifiques de la structure du globe terrestre.



Comment la sismologie a changé le Monde

(document de synthèse)

 

Episode 1 : Tout commence au VIe siècle avant Jésus-Christ, lorsque les premiers philosophes vivant sur le pourtour de la Méditerranée, tels Thalès (v.625-v.547 av. J.-C.), Anaximandre (v.610-v.547 av. J.-C.), Pythagore (v.570-v.480 av. J.-C.), puis Platon (428-348 av. J.-C.) et Aristote (384-322 av. J.-C.), s’interrogent sur le fonctionnement de la nature. Pour eux, la Terre est ronde et se maintient en équilibre, sans aucun support physique, au centre du Ciel lui aussi sphérique. Notamment, pour Aristote, la Terre est exclusivement formée de l’élément terre; elle est entourée d’eau, puis d’air et enfin d’une couche de feu. Au delà, c’est le monde des astres et de l’éternité. La partie superficielle du globe contient des cavités internes et des canaux. Le vent (ou souffle interne), sortant des cavités, provoque des tremblements de terre. Lorsqu’il est broyé en petites particules, il prend feu et donne des volcans. Cette vision de la Terre perdure pendant toute l’Antiquité et le Moyen Age.

La stratification du monde dAristote.

 

Episode 2 : Avec la révolution astronomique de Copernic (1473-1543), les idées des Anciens sur la Terre sont rejetées. Une nouvelle représentation émerge.

Descartes (1596-1650), qui est philosophe, est le premier en 1644 à imaginer le monde souterrain. Pour lui, la Terre est un ancien Soleil qui a subi une évolution particulière. Au centre, on trouve un noyau de matière solaire, recouvert d’une couche compacte de la même matière que les taches solaires. Ensuite vient une couche de terre dense, une couche d’eau, une couche d’air et une nouvelle couche de terre plus légère qui se maintient au dessus du vide comme une voûte. La Terre de Descartes est donc creuse ! La couche externe est toutefois en équilibre instable. Séchée par le Soleil, elle se fendille, et finit par s’écrouler d’une manière inégale dans les couches internes, expulsant l’eau qui forme les océans. Descartes décrit ainsi à la fois la genèse de la Terre et sa structure interne. Il raconte comment les montagnes se sont formées, par effondrement, lors d’une immense catastrophe planétaire originelle.

La formation de la Terre selon Descartes.

 

Kircher (1602-1680), un père jésuite, donne en 1665 la deuxième représentation de la Terre, tout à fait différente de celle de Descartes. Pour lui aussi le globe est un ancien Soleil refroidit, mais il cherche à expliquer les éruptions volcaniques. La Terre possède un foyer central impétueux, à peine dompté, relié aux volcans de la surface par des conduits de feu avec des réserves intermédiaires, les " pyrophylacies ". Les volcans manifestent l’activité interne du globe, ce sont des soupiraux par lesquels s’échappe le feu intérieur.

 

Episode 3 : Une Terre creuse ou solide ?

Après Descartes et Kircher, les visions du monde souterrain se multiplient rapidement, avec une grande liberté. Une des motivations est de raconter la formation de la Terre et de proposer une explication scientifique du Déluge biblique. Par exemple : en 1681, Burnet (1635-1715), qui est un théologien réputé, pense que le globe était initialement un chaos fluide de tous les éléments qui s’est mis en ordre par l’effet de la gravité : les parties lourdes descendant vers le centre, les parties légères remontant vers la surface. La Terre est constituée d’une couche interne de terre, puis d’une couche fluide, puis d’une nouvelle couche de terre. Il ajoute au centre un noyau de feu. La couche externe, fissurée par la chaleur du Soleil, s’effondre, provoquant la sortie des eaux et le Déluge. C’est lors de cet épisode que la surface terrestre est façonnée avec ses montagnes et ses basins océaniques.

En 1693, Halley (1656-1743), astronome contemporain de Newton, est intrigué par la variation temporelle du champ magnétique de la Terre observée au cours du siècle. Pour l’expliquer, il suppose que la Terre est creuse et qu’elle contient un noyau aimanté en rotation libre. Plus tard, il émet des propos plus audacieux : la Terre serait formée de trois arches (ou coquilles) et d’un noyau aimantés tournant avec des vitesses différentielles. Les dimensions des sphères internes correspondent aux rayons de Mercure, Mars et Vénus ! Les arches se tiennent en équilibre grâce à la force magnétique qu’elles génèrent et qui s’oppose à la gravitation. Elles sont supposées habitées et séparées les unes des autres par des milieux raréfiés.

 

Les trois arches et le noyau du modèle de Halley.

 

En 1721, Gautier (1660-1737), un ingénieur des Ponts et chaussées, pense que la Terre est entièrement creuse et qu’elle est comparable à un ballon ou à une vessie pleine d’air ! La mince couche externe, qui a moins de 5 km d’épaisseur en moyenne, est maintenue par deux forces opposées : la gravité et une force provenant de la rotation de la Terre. Les deux côtés de la croûte sont parfaitement symétriques et ainsi un monde est également possible sur la face interne avec ses mers et ses montagnes ! Le modèle curieux de Terre creuse de Gautier est fondé sur des intuitions géologiques pénétrantes. Gautier explique ainsi les soulèvements et les effondrements de la croûte, ce qu’il ne pouvait pas faire en supposant une Terre pleine.

 

La Terre creuse de Gautier.

 

Episode 4 : De l’imagination aux investigations scientifiques.

La panoplie des représentations du monde souterrain est donc impressionnante au milieu du XVIIIe siècle. Toutes sont judicieuses mais laquelle est juste ?

En 1778, Buffon (1707-1787), intendant au Jardin du Roi, se propose de développer une théorie de la Terre qui repose sur des arguments solides, durement éprouvés, acceptables pour tous. Il affirme que la Terre est pleine en s’appuyant sur la direction que prend un fil à plomb dans le voisinage d’une montagne. Il avance également, en donnant trois arguments, que le globe a été entièrement fondu au début de son histoire. Le premier est la nature des roches des régions montagneuses qui sont le résultat d’une fusion. Le deuxième est la forme aplatie de la Terre qui n’a pu être acquise que si le globe a été à un moment de son histoire malléable, donc en fusion. Le troisième est les mesures de température dans les mines qui montrent que la Terre possède une chaleur propre.

 

La déviation de la verticale : aux stations A et B, les verticales (direction du fil à plomb) sont données par les lignes pleines alors qu’en l’absence de la montagne (qui possède une capacité d’attraction), elles seraient données par les lignes pointillées. Si la Terre est creuse, la montagne représente une masse importante par rapport à la masse totale de la Terre et la déviation doit être grande. Si au contraire la Terre est pleine, la montagne ne représente plus qu’une masse insignifiante et la déviation engendrée est très faible. C’est ce qui est observé.

La forme aplatie de la Terre résulte de la force centrifuge développée par la rotation terrestre, qui chasse les particules vers l’équateur et qui augmente le rayon équatorial de 20 km par rapport au rayon polaire.

Cordier (1777-1861) observe en 1827 que la température dans les mines augmente de 1 degré tous les 25 mètres de descente. Si la progression se poursuit, la température de l'eau bouillante est atteinte à 2.5 km de profondeur (ce qui est confirmé, le croît-on à l'époque, par les sources d'eau chaude)

 

Episode 5 : La Terre, fluide ou solide ?

L’idée d’un globe en fusion satisfait la majorité des géologues mais certains physiciens restent dubitatifs et une polémique s’engage.

Hopkins (1793-1866) remarque en 1839 que les affirmations de Cordier ne sont pas justifiées car la température de fusion des roches dépend de la pression. Si une roche fond à 1000°C en surface, il lui faut une température bien plus élevée pour entrer en fusion à 100 km de profondeur. Pour connaître l'état des roches internes, il faut donc savoir qui de la température ou de la pression a la plus grande influence, et seuls des expériences de laboratoire, impossibles à réaliser à l'époque, pourraient lever l'indétermination. Devant l'insuffisance et l'incertitude des données, Hopkins s’en tient à trois hypothèses remarquables :

 

Les trois modèles proposés par Hopkins : (a) si la température s’accroît suffisamment avec la profondeur pour dépasser l’influence de la pression, le globe est en fusion sous une croûte dont on ne peut pas connaître directement l’épaisseur; (b) si l’influence de la pression augmente plus rapidement que celle de la température, la solidification a commencé au centre, et comme en même temps le refroidissement créait une croûte en surface, le globe est formé d’une enveloppe solide, d’une couche intermédiaire en fusion et d’un noyau solide; (c) si le refroidissement est complet, le globe est entièrement solide.

 

Episode 6 : Le noyau de fer.

Parallèlement à la polémique sur l’état physique de l’intérieur du globe, des recherches sont effectuées sur la répartition interne des densités. En s’appuyant sur l’observation des météorites, Roche (1820-1883) présente en 1881 un modèle de Terre à deux couches : un noyau ferreux dont la densité est voisine de 7, recouvert d’une couche pierreuse de densité 3, dont l’épaisseur n’atteint pas 1/6 du rayon entier. La densité de l’enveloppe est déterminée grâce aux relevés géologiques alors que la densité et la dimension du noyau sont déterminés par le calcul pour satisfaire deux conditions : la densité moyenne de la Terre égale à 5,5 et son aplatissement qui dépend de la répartition interne des densité. En 1897, Wiechert (1861-1928) propose un modèle semblable et en 1909, Suess (1831-1914) nomme le noyau nife (composé de fer et de nickel), l’enveloppe sima (essentiellement composé de silicium et de magnésium), et les continents sial (essentiellement composée de silicium et d’aluminium). Les valeurs numériques retenues par Roche et Wiechert ne sont pas exactes : en sous-estimant l’influence de la compressibilité, ils obtiennent des valeurs des densités trop faibles et par compensation une dimension du noyau trop grande. Ces modèles sont toutefois cohérents et serviront de référence pour les premières interprétations des sismogrammes.

 

Episode 7 : Les grandes discontinuités sismologiques.

L’auscultation sismologique permet à partir du début du XXe siècle de renouveler entièrement les modèles de Terre. La détection des ondes de cisaillement (qui ne se propagent pas dans les liquides) montre que le globe se comporte comme un corps solide élastique, du moins dans toute sa partie supérieure. Les géologues doivent donc revoir leur copie! Oldham (1858-1936) construit en 1906 un premier modèle de Terre sismologique. Sur les courbes temps-distances qu’il vient de tracer, il remarque que les ondes S subissent un retard d’une dizaine de minutes pour des distances épicentrales supérieures à 120-130°. Il l’explique en disant que ces ondes traversent une région centrale où la vitesse est sensiblement inférieure à celle existant dans l’enveloppe extérieure et il pense ainsi mettre en évidence une discontinuité sismologique majeure vers 3800 km de profondeur.

Le trajet des ondes sismiques dans la Terre selon Knott en 1908.

 

En 1909, Mohorovicic observe un accroissement des vitesses sismiques sous la Croatie à environ 54 km de profondeur. Cet accroissement est ensuite confirmé par d’autres sismologues dans différentes régions du monde; il est interprété comme l’interface entre la croûte et le manteau.

En 1912, Gutenberg (1889-1960) repositionne la discontinuité d’Oldham vers 2900 km de profondeur (qui est la valeur adoptée de nos jours). Il observe que les ondes P émises par un séisme sont enregistrés normalement jusqu’à la distance épicentrale de 105°. Entre 105 et 142°, les ondes P ne sont plus observées, puis à 142°, elles réapparaissent. C’est le phénomène de " zone d’ombre " que Gutenberg explique comme le résultat de la réfraction des ondes P à travers une discontinuité marquant une chute brutale de la vitesse des ondes. En 1923, il interprète cette discontinuité comme l’interface entre le noyau et l’enveloppe de Wiechert.

La Terre solide de Beno Gutenberg (1889-1960)

 

Le trajet des ondes sismiques selon Gutenberg et Richter en 1939.

 

Episode 8 : Les premiers profils de densité.

Pour déterminer la variation de la densité avec la profondeur à partir des vitesses sismiques, il est nécessaire de posséder une équation d’état reliant les différents paramètres élastiques entres eux. En 1923, Adams et Williamson franchissent l’étape essentielle en établissant leur équation, qui permet de calculer les variations de la densité due à la compression dans les régions homogènes du globe. En 1936, Bullen en fait la première application à la Terre et établit le premier profil de densité en supposant le globe constitué de différentes enveloppes concentriques homogènes. Il n’aura ensuite de cesse de le perfectionner. En 1952, Birch montre que l’équation d’Adams-Williamson est valable dans le manteau inférieur et le noyau mais qu’elle ne peut pas être appliquée dans la partie supérieure du manteau. Pour pallier ce défaut, il développe une équation d’état empirique reliant la vitesse des ondes P à la densité.

L’équation d’Adams-Williamson et la loi de Birch sont à la base des calculs modernes (depuis 50 ans) du profil de densité.








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